mercredi 7 janvier 2015

Lecture de la soumission-fiction de Houellebecq

Une petite fiche de lecture pour changer puisqu'aujourd'hui sort le nouveau roman de Houellebecq et qu'il est partout dans les médias qui en raffolent et le détestent à la fois.

J'ai lu sa Soumission et c'est un bon roman.

C'est un roman de science-fiction et j'aime la science-fiction. Il y a peu de science là-dedans, au sens des sciences dures des extraterrestres (quoique) et des robots, sauf à considérer que la science-fiction inclut les sciences humaines-fiction. Le héros, malignement appelé François comme l'autre héros de ce blog, est en effet un pur universitaire, professeur de littérature et spécialiste d'une très étroite tranche de la culture mondiale, le XIX° siècle et Huysmans. Le roman nous narre son délabrement de plus en plus important (à lui comme à l'Université ou à la société en général) et sa difficulté à s'insérer dans un monde sensible et vivant, lui qui vit dans le XIX° siècle, a zappé le XX° et se retrouve un peu par hasard dans le XXI° siècle à un moment historique.

La toile de fond du roman est celle dont les commentateurs parlent le plus, en assimilant son roman à un faux essai, à une politique-fiction ou même à une religion-fiction, ce qui revient au même quand on parle de l'Islam et de la Charia. Ce que j'aime dans la Science-Fiction, c'est le concept de base : l'auteur choisit une idée de base (non réaliste au moment où le livre est écrit) et se met à la décliner avec son angle particulier, avec une logique et une froideur de scientifique qui devient ainsi un chirurgien méticuleux, bien loin des auteurs de purs romans qu'on peut assimiler à des gens qui se grattent les orteils jusqu'au sang en dépit du bon sens - les lecteurs du livre comprendront. L'idée de base d'un roman de science-fiction peut être n'importe quoi - et est souvent n'importe quoi d'ailleurs - cela importe peu. Seul le déroulé implacable des conséquences est important, ainsi que la psychologie du héros, qui devient un être hybride entre l'auteur du roman, le héros décrit dans le livre, l'individu fantasmé par le lecteur et le lecteur lui-même (surtout si c'est un homme, dans le contexte de Soumission, à ne pas confondre avec cinquante nuances de Grey).

L'idée de base est donc simple : face à la décadence et à l'échec en Europe, un parti musulman arrive au pouvoir et impose dans la douceur et le consensus des mesures qui font graduellement évoluer la société, dans une torpeur générale puisque le nouveau président est un être exceptionnel, charismatique, comme on n'en a pas connu depuis les bons empereurs romains ou certains grands commis de l'Etat. La France est le lieu de cet événement historique, mais cela touche toute l'Europe qui d'ailleurs s'étend à toute la Méditerranée progressivement. Les barbares du Nord perdent de l'influence et l'Europe se recentre au Sud, vers la Méditerranée nourricière. La France, ancienne terre des Lumières devient la terre de la nouvelle religion. La langue française reprend de l'influence et la Francophonie du poil de la bête...

L'intelligence du roman est de ne nous faire découvrir ce contexte que progressivement et de manière distanciée à travers le héros, qui est un anti-héros comme d'habitude chez l'auteur. Ce héros a des ornières et ne voit que ce qui l'arrange. Il a des caractéristiques qui le rendent antipathiques mais il est paumé donc sympathique. Il est misogyne, misanthrope, égoïste et irresponsable. Il est paresseux, obsédé et plein de vices. Un homme épuisé et perdu que la religion sauve. Un intellectuel naïf.

Le roman de la glissade de cet homme dans un tel contexte fait sourire. L'homme est tellement prévisible que c'est son voyage qui est passionnant à lire. Pas son but ultime puisqu'il décide de se convertir à l'Islam à la fin seulement. Et encore au conditionnel, comme s'il ne pouvait écrire son auto-biographie que jusqu'à un certain point, jusqu'à envisager une telle conversion, mais sans pouvoir écrire après. Le lecteur imagine la suite des mémoires du héros, une fois converti et installé dans sa deuxième vie, avec ses bouteilles d'alcool, ses femmes et le prestige retrouvé d'un François perdu, d'un français du temps futur.

Au-delà du contexte politique qui force le personnage principal à agir et à muer, Houellebecq égratigne fortement le milieu des intellectuels et l'Université dans son ensemble. La critique est sévère, mais argumentée et là encore chirurgicale. On voit bien que l'auteur est sérieux et s'est documenté, au-delà même de son vécu. Les universitaires , dont le héros est un représentant exemplaire, en prennent pour leurs grades (universitaires).

C'est un roman qui met mal à l'aise mais qui fait sourire également. Et si on le lit bien pour ce qu'il est, un roman de science-fiction, c'est un roman initiatique, classique dans la fantasy. Le parcours du héros, dépassé par les événements et sa propre inanité, amène le lecteur quelque part. Que le lecteur juge la fin morale ou pas, le parcours plaisant ou non, c'est un roman qui se lit. Un roman de mec obsédé. Mais un bon roman... Ceux qui se contentent de commenter l'idée de base, l'hypothèse initiale à la source de l'idée du roman, ou qui se repaissent des détails anecdotiques ébouriffant certains personnages actuels toujours actifs en 2022, ont raison aussi... mais ils ne parlent pas du roman lui-même, un autre roman du "moi pas haïssable" que son auteur sait mettre en scène au nez et à la barbe (obligatoire) des commentateurs hypnotisés par son talent ou qui s'arrêtent au titre du roman ou à ses bonnes feuilles. C'est un roman facile et rapide à lire, juste 300 pages.


Mise à jour : aucun rapport mais aujourd'hui nous sommes tous des lecteurs de Charlie #JeSuisCharlie


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