dimanche 2 avril 2017

Du temps de cerveau pour... Une nouvelle destination

John adorait prendre l'avion. Il se passait toujours tellement de choses ! Autour de lui pourtant, nombreux étaient ceux qui détestaient l'avion et qui ne le prenaient qu'en dernier recours. 

Il faut dire que les aléas du transport aérien étaient, à cette époque lointaine, encore nombreux. Depuis la sécurité à fait des progrès immenses et le problème des  TTV a été résolu depuis longtemps. Mais à l'époque de John, il y avait encore de trop nombreux accidents et retards sans que les causes en soient bien connues. 

John s'en foutait. Du haut de son mètre quatre-vingt dix, il voyait le monde de haut et voulait monter encore plus haut. L'avion était parfait pour ça. Il se souviendrait toute sa vie de son premier vol, à peine une heure entre les deux villes principales de son pays natal, mais une heure tellement intense, tellement haut perchée qu'il n'avait pas décollé son nez du hublot pendant cette heure de plaisir inouï. Depuis, il avait enchaîné les vols, souvent sans aucune raison que de voler dans les deux sens le plus longtemps possible. Évidemment tout billet coûtait une fortune car les voyages en avion étaient encore chers à ce moment. Mai tant pis ! Il économisait, volait, travaillait et recommencait. Ses amis n'y comprenaient rien. Ses amies encore moins. Il semblait prêt à les abandonner dès qu'il avait du temps libre et de l'argent pour s'envoler. 

John était myope. Sinon il aurait appris à piloter il y a longtemps. En plus il n'avait qu'un bras. Le gauche. Sa mère pensait que depuis son accident, John voulait voler pour oublier. Comme s'il pouvait dépasser son malheur. Le survoler, même. Mais John aimait voler, c'était tout. Il se sentait un homme différent dans les airs. 

Cela commença doucement. A son premier vol, l'avion vola comme dans du coton. Pas une perturbation. Les passager avaient le sourire en sortant de l'avion. Au deuxième vol, il y eut quelques perturbations, mais nettement moins que d'habitude sur cette liaison. Au sixième vol, au retour, il y eut du retard, un fait habituel. L'avion dût tourner un peu au-dessus de l'aéroport pour attendre son tour. John était ravi. Plus de temps en l'air ! Il n'avait pas du tout envie de rentrer à la maison. Au septième vol, l'avion fut retardé avant le décollage et John trépidait d'impatience. Le vol fut agité. 

John commença à se douter de quelque chose à son vingt-cinquième vol. C'était un long-courrier, avec des escales. Il n'aimait pas les escales. C'était du temps perdu par terre. Le vol arriva à destination à l'heure, mais sans s'être arrêté. L'avion avait volé tout du long. A l'arrivée, l'équipage sembla sortir d'un rêve et certains passager aussi. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils étaient là et pourquoi personne, même eux, bd s'était étonné de ce vol direct. Le pilote avait beau savoir qu'un tel vol était impossible, à cause du carburant, il ne pouvait que constater le fait. 

Ce vol fit grand bruit dans la presse car il y avait à bord un ministre qui aurait dû descendre à la première escale. Une grande enquête fut diligentée mais aucune explication ne fut donnée. Ni trouvée d'ailleurs. 

Après un tel vol, John n'eut plus d'argent pendant longtemps. Il dut travailler dur pour reconstituer des économies. Cela lui permit de rester un plus longtemps chez lui, et une fille en profita pour lui mettre le grappin dessus. Elle était très belle et il ne comprenait pas pourquoi elle le draguait, mais elle réussit son coup. Ils se marièrent et grâce à l'argent qu'elle avait elle aussi mis de côté, ils partirent dès le lendemain en voyage de noces. En avion, naturellement. Une île pas très distante. John et sa femme eurent un vol aller paradisiaque, lui les yeux dans les nuages et elle la tête sur son épaule. La lune de miel fut courte mais le voyage de retour long. Très long. Beaucoup trop long. Comme si l'avion faisait le tour du monde dans l'autre sens... Les deux époux ne virent rien de tout cela. Ils s'épanouissaient dans les airs, ensemble. A l'arrivée, après 24 heures de vol, beaucoup de monde attendait l'avion : des officiels, des policiers, des journalistes et des proches inquiets. 24 heures au lieu de 2 ? Et personne ne s'en était rendu compte à bord ???

Ils furent tous interrogés longuement mais personne ne  pût donner une quelconque explication. John et sa femme rentrèrent chez eux. Mais le lendemain matin, alors que sa femme venait de partir travailler et que lui aussi était prêt à partir, on frappa à la porte. John ouvrit et un jet de gaz l'étourdit instantanément... 

La suite, cette nuit de Montréal, car entre les deux je suis... dans l'avion. Mais un billet par jour, c'est un billet, non ? Même incomplet ;)

Il se réveilla dans une pièce blanche. Allongé. Attaché. Mais sans douleur. Tranquille. Il ne se sentait pas inquiet en fait. La pièce était fermée. Aucune fenêtre. Juste une porte blanc sur blanc. 

La porte s'ouvrit. L'homme qui entra était habillé en noir et son visage ridé marquait son grand âge. Il s'assit en face de lui. Et il lui parla. Longuement. Il était convaincant. John fut convaincu en très peu de temps. Cet homme lui proposait de réaliser son rêve le plus fou. Voler, évidemment. Voler tout le temps. Voler sans arrêt. Voler au-dessus des nuages...

John accepta et l'homme sourit. Ses rides du sourire détonnaient sur son visage fripé. Il n'avait pas dû sourire beaucoup avant, se dit John. 

Il ne fallut à l'homme que trois mois pour construire l'avion. L'homme était très riche et ses milliards étaient plus nombreux que ses rides. Pendant ce temps John et sa femme faisaient des plans et s'organisaient. Elle aussi était enthousiaste car elle aimait John. 

Puis le grand jour arriva. L'avion spécial décolla. John et sa femme y disposaient d'une suite de cinq pièces. L'homme en avait dix-neuf pour caser sa famille et ses assistantes. Le reste de l'avion était pour le jardin, le docteur, l'école - car la femme de John était enceinte - et quelques pièces pour le travail et la détente. 

L'avion décolla donc. Toutes les télés étaient là. Car maintenant tout le monde savait que John était la source des délais des avions. L'enquête menée par l'homme avait prouvé que John était la seule explication possible, puisque ces étranges incidents ne se produisaient que lorsqu'il était à bord. De plus il avait été prouvé que les passagers ne vieillissaient quasiment pas et que le temps passait d'une drôle de façon à bord. C'est ce qui avait intéressé le vieil homme. Vivre sans vieillir.

L'avion décolla. Depuis toutes ces années, il ne s'est posé que dix fois. Au début surtout. Pour déposer à chaque fois un enfant de John. Un enfant doué du même pouvoir que celui de son père. Ralentir le temps jusqu'à l'arrêter. 

John fut le premier TTV, le premier Tueur de Temps de Vol/Vie. Aujourd'hui, il y en a des milliers, ses descendants. Les avions volent sans fin, sans carburant puisqu'un TTV y est présent à chaque fois. La vie du monde s'est organisée dans les airs. Des avions, des ballons, des villes volantes, des paquebots flottant sur les nuages, tous comportant un logement pour un TTV, un descendant de John. 

Mais John n'a jamais changé d'avion. Le vieil homme a fini par mourir, après plus de mille ans de vie. Sa femme aussi. Mais John vole seul, dans son avion modernisé et robotisé plusieurs fois dans un atelier volant. Au-dessus des nuages, le nez collé au hublot. Son avion a été repeint couleur de soleil couchant et tout le monde le connaît. John n'a plus besoin de poser le pied sur le sol. Il n'a pas vieilli et nous connaissons tous son visage. 

Aujourd'hui, ma petite-fille a vu passer l'avion de John dans le ciel, loin au-dessus de notre ballon de campagne. Elle l'a pointé du doigt. Je lui ai souri et lui ai dit de faire un vœu. Tout le monde sait que voir l'avion de John porte chance. 

 

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